La Fête Est Finie

J'écris bien moins qu'avant, c'est clair. C'est bon signe. Quand je vais bien j'écris moins, puisque j'ai souvent écrit pour ne pas mourir.

J'ai sans doute acquis une certaine sagesse, et je vis tellement le jour présent. Plus question de me lamenter sur le passé, il est passé. Je ne m'inquiète pas pour l'avenir, il est bien trop incertain et de courte vue à mon âge... Alors je prends tout ce que la vie veut bien me donner, et je savoure.

Un après-midi au jardin, une sortie réussie avec les chiens, une recette de cuisine bien menée, sont des petits bonheurs qui me suffisent.

Je fais ma courageuse mais je sais qu'approche Noël, et cette année, après le fiasco douloureux de l'an passé, je n'organise rien, ne propose rien. D'ailleurs fils numéro 2 est en Asie, fils numéro 1 m'a montré comme il n'a pas envie de passer Noël avec moi, et ma soeur, après tous ses efforts pour me gâcher ma fête d'anniversaire "peut aller se faire voir chez les grecs". Le budget ainsi épargné va nous permettre de nous gâter peut être. Je rêve d'énormes (et coûteux) pots de céramique bleue pour mettre dans un coin sombre du jardin, et d'un banc. Je rêve d'une ou deux journées de Thalasso si on ne nous emmerde pas avec masque et viol de nez... Je rêve d'un repas au restaurant sans rien avoir à préparer pour la première fois depuis la mort de ma mère ! (mais pas de soirée dansante, pitié !) Je ne décorerai pas la maison,ce serait trop douloureux et ô combien inutile. D'ailleurs, je me donne encore une année test, et si décidément cette fête est morte dans cette famille, je vendrai/donnerai tout mon matériel inutile ! Autant commencer à faire le tri, c'est autant que les enfants n'auront pas à faire quand ils viendront récupérer l'héritage.

Bon. Je voulais vous parler d'autre chose.

Je vais à la Chorale. La Chorale de mon village. Nous y sommes, mon mari et moi, les teenagers ! Oui !!!!!!! Les petits jeunes du groupe. Du coup le niveau de chant n'est pas terrible. Ben oui, quand on vieillit; on perd sa voix !

Je regarde les choristes voisines, et au demeurant fort sympathiques, et je m'aperçois qu'en vieillissant il y a une espèce d'uniformisation qui se fait. Tout le monde se ressemble un peu. Mêmes coiffures, mêmes tenues confortables, mêmes chaussures confortables. Le mot d'ordre semble "Confort et simplicité". Bien sûr, on sent que certaines on plus de moyens que les autres pour lutter contre le naufrage, et une vie sociale (un rang) qui les contraint à plus d'efforts, mais à peine. Il peut s'agir de vêtements de marque (ici c'est le règne de St James, et d'Armor Lux !), de brushings et couleurs plus fréquentes (mais ça a un coût !!!!!!).

Globalement, on sent que la lutte contre le temps est terminée, et souvent celle contre le poids aussi. Par contre, tout le monde veille à se maintenir en forme, souvent par une alimentation saine, et de la marche, et à conserver un minimum d'activités socialisantes (comme la chorale entre autres).

Il me vient à envier le temps où les grands-parents n'avaient comme obligation que de s'asseoir devant la maison pour surveiller le village, écosser les pois, veiller sur la soupe... 

A la gym aussi je suis la plus jeune. Il faut dire que vu mon état de santé l'an dernier, je m'étais prudemment inscrite à un truc très soft. C'est l'Atelier du Mouvement, et il s'agit de maintenir du mouvement, de la motricité, de la souplesse malgré les douleurs et sans se faire mal. Du coup moyenne d'âge 70 ans ! Bon, ambiance fort sympathique aussi, mais moi qui suis, paradoxalement, d'une souplesse incroyable, je reste un peu sur ma faim. Je réfléchis à intégrer un groupe de pilates. J'ai besoin d'étirements !!! 

Je peux faire, à propos de mes copines de Gym, les mêmes remarques qu'à propos des choristes, confort, simplicité et volonté de "bien vieillir".  Tout ça m'angoisse un peu. J'ai l'impression d'être passée de l'autre côté du miroir !!!!!

A la dernière répétition, j'ai retrouvé Nicole, ma voisine de pupitre. Je n'avais pas tilté, mais elle s'appelle comme ma défunte tante. Elle chevrote un peu quand elle chante, et elle se paume sur la partition, il faut sans arrêt que je lui montre quelle ligne on chante... Mais elle est gentille et je la sens en demande de contact. J'en ai tellement manqué depuis que je suis là, que je ne refuse pas de taper une petite discussion pendant que "les basses" (heu...) essaient d'apprendre leur morceau (oui c'est long !!!!!). Et là, elle m'explique qu'elle s'apprête à fêter ses 80 ans. Elle me dit "Tu te rends compte ! 80 ! Déjà 70 ça m'a fait bizarre, mais 80 j'en reviens pas ! j'ai l'impression d'être ma grand-mère !" Bon elle va avoir une belle fête, ses enfants vont venir... mais elle sait clairement que le compte à rebours a sévèrement commencé ! Pas simple. 

Alors j'ai pensé à ma mère. Elle aurait eu 80 ans fin août, et souvent je me demande comment elle serait, à quoi elle ressemblerait, si elle saurait s'occuper, si elle serait devenue acariatre, si..... Je n'ai pas pu voir mes parents vieillir, peut être que c'est mieux, on garde en souvenir les moments les meilleurs, et on échappe à cette lente dégradation qui peu à peu nous sépare du monde des vivants...  Du coup, je regarde Nicole avec intérêt, donc c'est ça une femme de 80 ans, un peu active, un peu débrouillarde et pas trop esquintée par la vie... Elle me fait sourire....

Moi je suis en tenue confortable, en coiffure simple à gérer au quotidien, je n'ai pas approché un tube de maquillage depuis au moins deux ans, et je me demande si je vais continuer à me teindre les cheveux pour dissimuler, autant que faire se peut, mon grand âge ! Mes douleurs sont bien moins prégnantes depuis que je ne travaille plus (donc c'était bien lié à l'exposition aux ondes et au harcèlement), et ma foi, je suis bien. Je peux dire, et je me le dis chaque jour : Je suis heureuse. Je vis exactement comme je l'ai toujours souhaité, ça vient un peu tard, mais ce qui est pris n'est plus à prendre, et j'ai une vie tellement plus préservée que toutes mes ancètres ! 

Donc je glisse dans le confort de la vieillesse, tranquillement, sans plus lutter. Je suis sûre de l'amour de mon mari, je n'ai plus à user d'artifices de séduction, je ne suis plus dans la compétition entre collègues, je ne cherche plus à avoir l'air, passer pour... Je peux être juste moi et c'est drôlement bien.

J'ai survécu à tant de tempêtes, j'en suis sortie plus forte. Je n'attends plus rien de personne, je vis entre la nature et mes animaux, dans mon petit monde d'amour. Comme les autres, j'attends mon tour, l'avenir n'est plus que cette béance : Quand et Comment ? mais je m'en fous. Je suis prête parce que j'ai beaucoup aimé vivre.